Pourquoi des algues envahissent-elles les plages

Pourquoi des algues envahissent-elles les plages préférées des vacanciers?

Publié le vendredi 10 août 2018, mis à jour le dimanche 12 août 2018
Un texte de Daniel Blanchette Pelletier

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Des vacanciers font leur chemin à travers les algues pour atteindre l'eau.


Les échouages quotidiens d’algues sargasses ont rendu infréquentables des plages du Mexique, des Caraïbes et de la Floride. Photo : Associated Press/Brynn Anderson

Des plages couvertes d'algues, des montagnes de dépôts nauséabonds à enjamber avant d'atteindre la mer et de l'eau contaminée par endroits. Les vacanciers qui comptaient profiter du soleil du Sud cette année pourraient hésiter avant de mettre les pieds dans l'eau.

Les éclosions d’algues bleu-vert ont fait beaucoup moins de vagues cet été au Québec. Mais c’est tout le contraire en Floride, au Mexique et ailleurs dans les Caraïbes, où les plages paradisiaques prisées des vacanciers sont envahies par les algues.

« Ce n’est pas très joli, concède Denis Jimenez, établi au Mexique depuis 2015. Pratiquement toute la côte Riviera Maya a été impactée. »

De nombreuses plages ont été, ou sont encore, couvertes de sargasses, des algues brunes qui font parfois jusqu’à 12 mètres de long. Elles se développent dans l’océan Atlantique et sont rejetées sur les côtes par les vagues et les courants marins.

Les plages du Mexique, de la Floride et de plusieurs petits États des Caraïbes sont jonchées d’algues sargasses. Photo : Getty Images/HELENE VALENZUELA


L’ex-navigateur, qui dessine et conçoit aujourd’hui des bateaux, appréhende une saison particulièrement difficile cette année.

« Les biologistes se sont basés sur les quantités d’algues récoltées par rapport à 2015, qui a été la saison la plus forte, et ils se sont rendu compte qu’ils en avaient déjà récolté trois à cinq fois plus qu’à la même période en 2015 », explique Denis Jimenez.

Sa femme Christine et lui ont dressé une carte indiquant toutes les plages où la présence d’algues sargasses a été signalée depuis le début de l’année. Cliquez pour naviguer.

Des sargasses ont été signalées sur de nombreuses plages depuis le début de l'année. La carte n'indique cependant pas si elles ont entre-temps été nettoyées. Photo : Radio-Canada/avec The Ocean Cleaner

Alors que les plages du Mexique, des Caraïbes et de la côte est de la Floride sont aux prises avec les sargasses, des « marées rouges » ont pour leur part atteint la côte ouest de la péninsule floridienne.

Le phénomène revient annuellement dans le golfe du Mexique, mais la concentration d’algues rouges Karenia brevis dans ce secteur est la pire des dix dernières années. Les neurotoxines générées par ces algues microscopiques ont tué crustacés, poissons et mammifères marins et donné une coloration parfois rougeâtre à l’eau.

 

Année exceptionnelle?

« Ce sont deux phénomènes indépendants, mais qui coïncident cette année », explique la professeure au département de sciences biologiques de l’UQAM, Dolorès Planas.

Les éclosions d’algues sont normalement associées à un apport riche en nutriments provoqué entre autres par la pollution de l’eau par l’humain, dont la présence de phosphate et de nitrates dans les eaux de ruissellement, d’égouts ou souterraines.

« Les algues ont donc accès à beaucoup de nourriture et avec de la lumière pour s’alimenter, elles croissent jusqu’à en arriver à des conditions presque épidémiques », explique la professeure.

Il existe des dizaines de milliers d’espèces d’algues. Elles jouent un rôle crucial dans la survie et l’équilibre des écosystèmes aquatiques, notamment comme premier maillon de la chaîne alimentaire. Elles produisent également une quantité importante d’oxygène.

Certaines algues rouges, en milieu marin, et bleu-vert, en milieu d’eau douce, produisent toutefois des toxines. D’autres algues, comme les brunes, sont surtout incommodantes lorsqu'elles sont présentes en grande quantité, puisqu’elles dégagent de fortes odeurs en se décomposant et attirent les insectes sur les plages.

L’algue rouge Karenia brevis est à l’origine des vastes « marées rouges » observées au large du golfe du Mexique, et qui atteignent parfois les côtes de la Floride, du Texas et du Mexique. Photo : Associated Press/Paul Lamison

 

Certaines années sont plus propices à leur développement et à leur transport vers les côtes, note à son tour le biologiste Philippe Juneau.

Les algues rouges de la Floride, par exemple, perdurent depuis près d’un an, depuis la précédente saison des ouragans, alors qu’elles se limitent habituellement à un maximum de quatre à six semaines par année.

" Ça fait dix mois qu’elles sont là. Les chaleurs de cet été et les précipitations abondantes ont fait qu’elles ont augmenté à un tel point que les marées rouges ont tué plusieurs mammifères et poissons. " Dolorès Planas, professeure de sciences biologiques

Les éclosions d’algues rouges, parfois mortelles, dépendent du vent, des températures, des nutriments et de la salinité de l’eau, mais leur cause exacte est inconnue. Photo : Getty Images/Joe Raedle

 

Le constat est le même pour la sargasse. « Avant, on pensait qu’il y avait une saison plus méchante, en novembre et en décembre, se rappelle Denis Jimenez. Depuis, ça s’est malheureusement étalé dans l’année, et la saison devient de plus en plus large, sans qu’on sache s’il y aura interruption ou pas. »

Il prévoit un prochain arrivage sur les côtes mexicaines en septembre, puisque des images satellites montrent qu’un banc d’algues s’est détaché au nord du Brésil et se déplace présentement dans la mer.

L’ex-navigateur a d’ailleurs conçu un bateau pour les récupérer avant qu’elles n’atteignent les côtes. Il collabore également avec les autorités mexicaines pour installer des barrières flottantes et freiner leur progression.


Menace touristique, menace écologique

Les algues causent un désagrément esthétique sur les plages, ce qui peut avoir des conséquences économiques importantes si les touristes ne se présentent pas. Photo : Radio-Canada/Danielle Bouchard


Les algues ont d’importantes conséquences économiques, en faisant fuir les touristes rebutés par leur présence sur les plages. Elles posent aussi un risque pour la santé humaine et l’environnement.

« Oui, il y a l’impact touristique, mais il a aussi l’impact écologique, soutient Denis Jimenez. En venant mourir sur les bords de plage, les algues tuent tout ce qui est dessous, y compris les coraux, qui prennent de 10 à 50 ans pour se régénérer. »

« La dégradation des algues provoque une chute importante des concentrations en oxygène dans l’eau, explique le professeur en sciences biologiques de l’UQAM, Philippe Juneau. Les poissons et autres organismes peuvent donc suffoquer. »

Les algues rouges qui produisent des toxines affectent pour leur part le système nerveux central des poissons et autres animaux avec lesquels elles entrent en contact. « Ces toxines peuvent même s’accumuler dans les mollusques, comme les huîtres, et causer des effets néfastes aux gens qui les consomment », poursuit le biologiste. Lorsqu'elles sont libérées dans l’air, les toxines leur causent aussi des problèmes respiratoires.


Le pire est-il à venir?

La mer des Sargasses est une zone de l’océan Atlantique où les courants marins rassemblent un grand nombre d’algues du même nom. Un autre dépôt s’est formé récemment au nord du Brésil. Photo : Reuters/Edgard Garrido


Les éclosions sont de plus en plus impressionnantes, et plus fréquentes, augmentant ainsi le volume d'algues.

" Certaines études scientifiques mentionnent que les changements climatiques et la pollution sont probablement en cause. " Philippe Juneau, biologiste

Toutes ces algues qui se développent dans des conditions épidémiques et causent des problèmes ont une croissance plus importante avec une température plus élevée », ajoute Dolorès Planas, professeure de sciences biologiques.

Beaucoup d’algues croissent par exemple davantage quand l’eau est plus chaude, précise-t-elle.

Une animation de cartes montrant l'évolution de la quantité d'algues de juillet 2011 à juillet 2018

Le problème des algues sargasses est croissant. Des échouages massifs ont touché les Caraïbes en 2011 et en 2015. L’année 2018 s’annonce pire encore, selon des données satellitaires.  Photo : Optical Oceanography Laboratory

 

Dolorès Planas craint que les éclosions épidémiques d’algues deviennent de plus en plus problématiques si rien n’est fait pour contrer les changements climatiques. « L’augmentation de la température et des précipitations combinée à la dérégulation des apports de polluants dans l’eau augmentera fort probablement le phénomène », prévient-elle.

La professeure de biologie dénonce notamment un assouplissement de la réglementation aux États-Unis, où il se fait déjà moins de contrôles de ce qui aboutit dans les plans d’eau.


Le Québec n'est pas épargné

Le Québec est confronté chaque année aux algues bleu-vert, dont les cyanobactéries forcent habituellement la fermeture de zones de baignade en raison des risques pour la santé.

La province a aussi subi, il y a 10 ans, à sa propre « marée rouge » dans l’estuaire du Saint-Laurent. Il existe effectivement quelques espèces d’algues rouges sur le territoire, mais qui atteignent rarement un niveau épidémique et dangereux comme en Floride.

Les sargasses, habituellement favorisées par un climat tropical, pourraient tranquillement migrer vers le nord avec le réchauffement climatique, prévient Dolorès Planas. Dans tous les cas, résume-t-elle, si on donne aux algues les conditions requises pour se développer, elles risquent d'apparaître en grande quantité à des endroits indésirés.

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Reportage de Radio-Canada du 12 août 2018